Le gouvernement espagnol, dirigé par la gauche, vient de marquer un tournant en matière de politique migratoire. Une réforme réglementaire ambitieuse, adoptée fin novembre, par le Conseil des ministres, simplifie l’accès aux permis de séjour et de travail, tout en prévoyant des mesures transitoires pour les demandeurs d’asile déboutés.
De notre correspondant (Espagne)
Dans un contexte européen marqué par un durcissement général des politiques migratoires, l’Espagne fait figure d’exception. En rompant avec cette tendance, le gouvernement de Pedro Sánchez affirme son choix : celui d’un pays ouvert et inclusif. «Nous devons décider si l’Espagne sera un pays ouvert et prospère ou fermé et pauvre. Nous avons choisi la première option», a déclaré la ministre de l’Inclusion et des Migrations, Elma Saiz, lors d’une conférence de presse.
La réforme adoptée permettra, selon les prévisions gouvernementales, de régulariser jusqu’à 300 000 personnes par an sur trois ans, répondant ainsi aux besoins économiques et démographiques du pays. Elle consacrera également la réduction des délais et des formalités administratives pour l’obtention des titres de séjour et de travail. Arraigo social : la durée minimale de résidence requise pour demander ce permis passe de trois à deux ans. Parmi les nouveautés, on notera aussi l’assouplissement des critères économiques, privilégiant les liens familiaux pour les résidents réguliers, l’extension des visas de recherche d’emploi, désormais valables un an contre trois mois auparavant et la création de nouveaux statuts comme l’«enracinement de la deuxième chance», pour les migrants ayant récemment perdu leur permis à cause de retards administratifs. Un volet spécifique s’adresse par ailleurs aux demandeurs d’asile déboutés, leur offrant la possibilité d’obtenir un permis temporaire. Cependant, cette disposition ne garantit pas une régularisation permanente.
Renforcer les droits des travailleurs et l’accès à la formation
Le nouveau dispositif d’«enracinement socio-travail» introduit une flexibilité accrue pour les migrants : une offre de contrat reste obligatoire, mais la durée minimale passe de 30 à 20 heures par semaine. Les contrats saisonniers peuvent être combinés pour répondre aux exigences. De plus, un mécanisme inédit, l’«enracinement socio-éducatif», permettra aux migrants irréguliers de travailler jusqu’à 30 heures hebdomadaires tout en suivant une formation professionnelle. Ce dispositif vise à répondre à une double problématique : combler les besoins en main-d’œuvre et permettre une transition vers un emploi durable.
Les étudiants étrangers bénéficieront également d’un accès facilité au marché du travail après leurs études, une mesure saluée comme un levier d’intégration. La réforme clarifie aussi les règles du regroupement familial. Les autorisations de séjour sont désormais limitées aux enfants mineurs et aux personnes handicapées pour les familles non européennes. En revanche, un régime spécifique a été créé pour les proches de citoyens espagnols, comblant un vide juridique existant.
Un enjeu économique majeur
Selon Elma Saiz, l’Espagne a besoin d’environ 300 000 travailleurs étrangers par an pour maintenir son niveau de vie. Actuellement, 2,9 millions d’étrangers cotisent à la Sécurité sociale, représentant 13,6 % du total des affiliés. Avec cette réforme, le gouvernement espère pallier la pénurie de main-d’œuvre dans des secteurs clés, tout en renforçant les droits des migrants. «Cette réforme vise à garantir une vie digne pour les migrants en Espagne, avec des droits et des devoirs, tout en soutenant notre économie», a déclaré la ministre. Si cette réforme est saluée pour sa vision pragmatique et humaniste, elle n’échappe pas toutefois aux critiques. Des associations comme «Regularisation Now» dénoncent une approche trop axée sur les besoins économiques, laissant de côté de nombreux migrants en situation précaire. Ces organisations réclament une régularisation massive et inconditionnelle.
Ainsi, l’Espagne s’engage sur une voie audacieuse, faisant le pari d’une politique migratoire inclusive pour répondre aux défis économiques et sociaux. Mais dans un contexte européen souvent hostile à l’immigration, le succès de cette stratégie dépendra de sa mise en œuvre et de sa capacité à convaincre, en Espagne comme ailleurs.